L'absurdité de l'ignorance

Par M., Londres

La curiosité amène très souvent à approfondir ses connaissances ou encore à découvrir ; cependant, certains sujets restent pour de nombreuses personnes ignorés car ils peuvent effrayer ou sont tout simplement considérés comme inabordables. Il faut avouer que la mort et la maladie incitent rarement à être curieux et que nous préférons tous oublier que cela n'arrive pas qu'aux autres.

Seulement voilà, cette forme d'ignorance compréhensible entraînent des situations cocasses par leur maladresse aux conséquences parfois lourdes. L'auteur en est visiblement inconscient, ou tout du moins nous l'espérons, et la victime tente de l'excuser par politesse en pensant que l'acte est bien irréfléchi. Ainsi, me suis-je retrouvée à table avec un couple d'amis récents et au fil de la conversation, nous avons décrit les étapes importantes de notre vie. Parmi ces étapes, il en est une pour moi très difficile qui est celle du décès de mon père il y a 12 ans. La jeune femme en question me demande alors en toute simplicité et avec un naturel vous laissant sans voix : "Tu penses toujours à lui alors qu'il est décédé il y a 12 ans ?" Outre sa remarquable finesse et sa vivacité d'esprit, je suis restée sidérée par l'absurdité d'une telle question. Peut-on véritablement oublier son père et même au-delà, toute personne proche de nous avec laquelle nous avons partagé une large partie de notre vie ? Est-il possible d'imaginer qu'une personne puisse être gommée et son existence effacée car elle n'est plus physiquement présente ? La mort fait-elle si peur qu'il vaudrait alors mieux rayer la vie de nos défunts ? Fort heureusement non car nous les portons en nous tant que nous vivons ; je dirai même que leur mort nous fait au moins prendre conscience de notre vie et pour leur rendre hommage, nous devons savoir vivre pleinement.

Vous pensez certainement que je n'ai pas eu de chance au cours de ce dîner et qu'il ne faut pas faire d'une exception une généralité. Malheureusement, ce type de situations se renouvellent beaucoup trop souvent à mon goût depuis que j'ai atteint un nombre d'années apparemment estimées comme butoirs "pour passer à autre chose", comme si je devais passer à la lecture d'un nouveau livre et mettre les anciens dans un grenier poussiéreux puisqu'ils ne font plus partie des bestsellers du moment. Pratique mais pas réaliste car ce type de sujets reste à l'affiche de toute votre vie. Traversant une période de chance soudaine, une de mes connaissances m'a récemment demandé sur un ton anodin : "Tu as décidé de ne pas faire ton deuil alors ?" tout en prenant la précaution de précéder sa question d'une phrase qui vous laisse présager le meilleur, "Je ne porte pas de jugements mais..." J'adore ! Oui, c'est vrai, je ne fais pas d'efforts tout de même. Ne serait-il pas plus accomodant de me lever un matin et de me dire : "Tiens, papa, mais qui c'était au juste ? Ah oui, j'ai fait mon deuil, je ne sais plus, je suis passée à autre chose." Pourquoi n'est-il pas acceptable pour certains de comprendre qu'il est possible d'avancer dans sa vie tout en gardant dans son coeur et dans sa tête nos êtres chers et, oui, inoubliables ? Souhaiteriez-vous êtres supprimés par les gens que vous aimez, n'avoir rien apporté à vos proches qu'ils ne puissent conserver avec eux toute leur vie ? Puis-je même ajouter que certaines souffrances laissent des traces indélébiles et que l'accepter, c'est aussi avancer.

Alors, je le dis fort et haut, je n'ai pas fait mon deuil et pourtant, je me porte bien et suis heureuse dans ma vie grâce aussi à ce que mon père m'a apporté, inculqué et la part de lui que je porte en moi. Aujourd'hui, je sais vivre car j'ai conscience de la mort et de la brutalité de certains événements. J'espère que ce petit billet vous permettra de faire attention au poids des mots que vous utilisez sur des sujets que vous avez encore la chance d'ignorer mais surtout que
vous prendrez soin dès maintenant, dès la fin de la lecture de ces derniers mots, de profiter des petites joies simples de votre vie. N'attendez pas et réjouissez-vous ! Nous allons effectivement mourir, nous ignorons le quand et le comment mais nous savons pourquoi il est indispensable de jouir pleinement des instants présents.

Photo :
Georges de la Tour (1542-1519)
La Madeleine pénitente
Huile sur toile - 128 x 94 com
Paris, Musée du Louvre

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